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Appel à articles pour un numéro thématique de la revue Entreprises & Histoire “L’artisanat et ses entreprises: regards croisés”

03-09-2022 16:37

En ce début des années 2020, l’artisanat peut commémorer son centenaire en France. Le moment paraît donc opportun pour se pencher sur son histoire et sa place dans les économies occidentales. Les artisans et leurs entreprises sont évidemment un fait plus ancien, mais ce n’est qu’au lendemain de la Première Guerre mondiale que l’expression apparaît pour désigner le groupe socioprofessionnel qui se constituait alors. Avant la Première Guerre mondiale, il n’existait pas en France, comme dans la plupart des pays européens (hormis en Allemagne), de définition légale de l’artisan et de l’artisanat. En 1922 est créée la Confédération Générale de l’Artisanat Français (CGAF). Puis, l’Etat prend un ensemble de mesures qui sont spécifiquement destinées à l’artisanat au cours des années 1920-1930 : un statut fiscal de l’artisan et la création du Crédit Artisanal en 1923, des Chambres des métiers en 1925, l’ouverture d’un registre des métiers en 1936, l’encadrement de l’apprentissage artisanal en 1937. Cette mise en institutions n’est pas propre à la France. D’autres Etats européens (Italie, Espagne, Pays scandinaves…) se dotent également d’un statut légal de l’artisanat au cours de l’entre-deux-guerres. Les réformes engagées au cours de la seconde moitié du XXè siècle n’ont modifié qu’à la marge le périmètre de l’artisanat puisque plus de 90% des entreprises artisanales n’occupent toujours pas plus de cinq salariés. Elles ont cependant contribué à faire converger, sur fond de construction européenne, des législations nationales différentes.

Depuis l’industrialisation des économies européennes au XIXè siècle, de nombreux auteurs ont prophétisé la disparition de l’artisanat. Pourtant, force est de constater qu’il n’en a rien été. Au cours du XXè siècle, l’artisanat a fait preuve d’une remarquable stabilité en France et en Europe (Perrin, 2007, 2020). Depuis le début du XXIè siècle, il traverse même une nouvelle phase d’expansion en France. Il compte actuellement 1,5 million d’entreprises, et emploie plus de 3 millions d’actifs. En 2018, il représentait plus d’un quart des créations d’entreprises (INSEE Références, édition 2020). La presse économique fait régulièrement état non seulement du dynamisme de l’artisanat, mais également de sa forte capacité d’attractivité pour de jeunes diplômés qui ne se satisfont plus d’un poste de responsabilité dans une grande entreprise. Le travail artisanal et la maitrise du processus de travail sont ainsi privilégiés au détriment d’un travail routinier et souvent vide de sens (Sennett, 2010 ; Crawford, 2010). Plus récemment, de nombreux articles ont été également consacrés dans la presse économique à la capacité d’adaptation des artisans qui maitrisent, par exemple, l’impression en 3D ou plus généralement les technologies numériques de pointe. L’organisation du travail évolue également avec la création d’espaces de coworking équipés de fab.lab destinés, pour partie, aux entreprises artisanales et qui s’inspirent, de façon plus générale, du travail artisanal. Les entreprises artisanales s’organisent en réseaux pour coopérer et développer des savoir-faire. L’artisanat n’est pas un monde figé qui serait à l’abri du mouvement de l’histoire et de la modernité. Il évolue à l’image de la société et de l’économie dans son ensemble.

En bref, contrairement aux anticipations de nombre d’économistes et d’historiens de l’économie, les entreprises artisanales n’ont non seulement pas disparu, mais elles bénéficient d’un dynamisme certain (Boutillier, 2011). L’artisanat ne tourne pas à l’envers de la roue de l’histoire (Jaeger, 1982). 

Ce renouveau de l’artisanat a retenu l’attention des chercheurs en sociologie, en économie et des sciences de gestion. A partir des années 1980, les historiens ont également commencé à s’intéresser aux mondes de l’atelier et de la boutique qu’ils avaient jusque-là délaissé au profit de la grande entreprise de type fordiste (Crossick, Haupt, 1984). Ils ont abordé dans un premier temps le XIXè siècle, de la « révolution industrielle », dans une perspective d’histoire politique et sociale du XIXè siècle, puis des travaux sur le XXè siècle se sont développés sur le France (Zdatny, 1999 ; Perrin, 2007, 2020 ; Boutillier et al., 2015 ; Zarca, 1986) et plus récemment sur l’Allemagne (McKitrick, 2016 ; Domurad, 2019). Toutefois, ces différentes approches se sont trop souvent développées en silos en ignorant les apports respectifs des unes et des autres. 

Après avoir consacré quelques numéros aux PME et quelques articles sur les artisans, la revue Entreprises & Histoire se propose à présent de préparer un numéro sur l’artisanat, ses entreprises et ses entrepreneurs, dont l’ambition sera de croiser et de faire se rencontrer différentes disciplines (histoire, économie, sciences de gestion, sociologie, anthropologie, droit…) pour éclairer les capacités d’adaptation des entreprises artisanales face aux transformations économiques et le dynamisme de l’artisanat sur la longue durée, mais également pour étudier l’évolution du regard des chercheurs sur l’artisanat, comme un monde en voie de disparition à protéger ou au contraire comme une nouvelle forme de modernité.

Les articles proposés pour ce numéro peuvent porter sur les thématiques suivantes (tout en sachant que cette liste n’est pas exhaustive).

Pour lever les malentendus et les quiproquos, il paraît nécessaire de préciser de quoi, de qui, parle-t-on. En effet, le mot artisan n’a pas le même sens aux XVIIIè, XIXè puis XXè et XXIè siècles ; en France, en Allemagne, en Italie, au Royaume-Uni ou en Espagne. L’industrialisation a conduit à progressivement préciser et affiner le statut de l’artisan. Alors qu’il était peu différent de celui d’ouvrier, il s’en distingue par la qualification et l’indépendance. L’artisan devient celui qui exerce un métier réputé manuel pour son propre compte. Il se différencie aussi des commerçants et des industriels pour former un groupe social que l’on commence à appeler l’artisanat au début du XXè siècle. Toutefois, ce processus se fait selon des rythmes et des modalités variables selon les pays. De plus, des situations hybrides ont pu perdurer longtemps, comme celle des façonniers qui possèdent leurs outils de production, mais travaillent pour le compte d’un donneur d’ordre qui les rémunère à la pièce. Il n'existe donc pas une définition unique de l’artisan mais des statuts qui varient selon les périodes et selon les lieux. Confronté à cette variété, des institutions internationales telles que le Bureau international du travail (BIT) et l’Union européenne ont successivement renoncé à établir leur propre définition, renvoyant cette question à l’échelle nationale. La construction européenne semble néanmoins conduire à une progressive convergence des normes et des définitions nationales. Les contours de l’artisanat continuent d’évoluer avec l’introduction de nouveaux dispositifs législatifs et de nouveaux statuts tels ceux d’autoentrepreneurs, puis de microentrepreneurs en France, qui soulèvent toutefois des interrogations relatives à leur précarité. L’artisanat forme par conséquent un ensemble très hétérogène que ce soit sur le plan du statut juridique de l’entreprise (des sociétés au statut du microentrepreneur), mais aussi sur celui de l’activité (la liste officielle des activités artisanales comprend environ 250 métiers en France, plus de 150 en Allemagne).

L’évolution du cadre réglementaire met en jeu le rôle de l’Etat et invite aussi à s’interroger sur l’élaboration des politiques publiques visant à soutenir les entreprises artisanales. Certaines formations politiques, à l’exemple du parti radical-socialiste en France au cours de la IIIè République, étaient réputées proches des classes moyennes indépendantes et se sont montrées soucieuses de protéger celles-ci lorsqu’elles ont été au pouvoir. On peut toutefois s’interroger sur la portée et l’efficacité de ces protections, de ces politiques de soutien. Au-delà de l’affichage, les régimes autoritaires du XXè siècle ont en réalité assez peu protégé les artisans par exemple. On peut ainsi se demander quels Etats ont réglementé et soutenu l’artisanat et à l’inverse, quels Etats ne l’ont pas fait, à quels moments, pour quelles raisons… Plus globalement, dans quelles mesures leurs politiques économiques ont été favorables ou défavorables aux entreprises artisanales ? L’histoire de l’artisanat recoupe aussi celle des modalités de la formation professionnelle, de la mise en place d’un enseignement technique et de sa régulation par les pouvoirs publics. Un article sur l’apprentissage serait également bienvenu. 

Au-delà de ces aspects institutionnels et politiques, la pérennisation de l’artisanat doit aussi être exploré dans sa dynamique proprement économique. Le déclin des artisans a paru inéluctable en raison notamment de la concurrence du capitalisme industriel. Toutefois, dans le prolongement d’une historiographie qui a réévaluée la place des petites entreprises dans l’histoire de l’industrialisation, il conviendrait de regarder de plus près cette supposée concurrence. L’industrie concurrence-t-elle vraiment l’artisanat ou bien industrie et artisanat ont-ils leurs marchés propres ? Ne faudrait-il pas privilégier le modèle d’une juxtaposition à celui d’une progressive et inévitable substitution de l’un par l’autre ? La rivalité dans certains domaines, métiers ou secteurs d’activité ne va-t-elle pas également de pair avec des complémentarités, des coopérations, voire des hybridations. Certaines grandes entreprises, notamment dans le secteur du luxe, se revendiquent volontiers d’une tradition artisanale. Des entrepreneurs comme Pierre Hermé, dans la pâtisserie, ou Lionel Poilâne, dans la boulangerie, ont développé leurs « maisons » au niveau international en s’appuyant sur des savoir-faire artisanaux qu’ils continuent de mettre en valeur dans leur communication. Par ailleurs, des entreprises de l’artisanat, encouragées, parfois accompagnées, par les Chambres des métiers, ne tentent-elles pas de s’approprier des procédés de l’entreprise moderne : R&D, conception innovante, rationalisation de procédés de fabrication, etc. ?

L’artisanat constitue un ensemble très hétérogène, tant du point de vue du statut de l’entreprise que du métier exercé, et c’est très certainement la place du métier qui construit l’identité de l’artisanat. Tout en revendiquant un ancrage dans la tradition, les entreprises artisanales innovent et s’adaptent à la modernité : les entreprises d’électricité font de la domotique, celles du bâtiment conçoivent et construisent des habitations correspondant aux nouvelles normes environnementales, sans parler des entreprises de produits alimentaires qui développent leur offre de produits du terroir en  s’appuyant sur des circuits courts, contribuant à rapprocher le producteur et le consommateur, des paysans qui deviennent boulangers, etc. Le monde de l’artisanat est en plein transformation, y compris les métiers de l’art et du patrimoine. Sans parler de l’usage d’internet pour communiquer et faire connaitre ses produits. Ceci alors que des entreprises artisanales travaillent en tant que sous-traitants de l’industrie aéronautique dans des technologies de pointe… Les entreprises artisanales ne constituent pas un monde à part, coupé du reste de l’économie et de l’industrie.

Depuis plusieurs années, le travail artisanal, faiblement divisé et répétitif, essentiellement manuel, plus qualifié et épanouissant, apparaît à certains comme une alternative attractive au travail industriel… Sur la longue durée, les ressorts sociologiques et culturels du renouvellement de l’entrepreneuriat artisanal doivent être investigués. Qui sont les artisans ? Qui devient artisan ? De quels milieux sociaux viennent-ils ? Quel crédit faut-il donner par exemple à l’image de l’artisan de père en fils ? Quels sont les motivations des néo-artisans dans leur installation, dans leur projet d’entreprise ? Une étude d’ethno-anthropologie de l’artisanat peut également être envisagée. La question particulière des liens entre petite entreprise et migrations a déjà été bien travaillée par les historiens et les historiennes mais une mise en perspective sur la longue durée et sur les périodes antérieures à l’histoire contemporaine pourrait être proposée.

Les contributions pourraient questionner artisans et artisanat au prisme du genre. Il se présente en effet comme un groupe socioprofessionnel très nettement dominé par les hommes et dans lequel les femmes occupent une place marginale. Elles y sont cantonnées à quelques métiers notamment ceux du textile et de la confection - les métiers dits d’aiguille - et des services à la personne comme la coiffure. Mais, ici aussi les situations évoluent comme le montre par exemple le Prix Madame Artisanat des CMA, avec des femmes qui se sont orientées vers la mécanique automobile, la menuiserie ou encore la boulangerie. On peut aussi s’interroger sur les processus d’assignation de genre qui sont à l’œuvre dans cette répartition :  comment s’est-elle construite ? Quel rôle attribuer aux représentations sociales, à la formation professionnelle… ? La focale peut être élargie au-delà des seules artisanes pour scruter plus globalement la place des femmes dans les entreprises artisanales. En effet, parmi les définitions de l’artisan certaines retiennent le recours possible à la main d’œuvre familiale faisant des entreprises artisanales des entreprises familiales qui reposent notamment sur le couple, l’association au travail de l’artisan et de son épouse. Mais combien d’artisans travaillent effectivement avec leur épouse ? Quelles fonctions assument-elles dans l’entreprise ? Cette association concerne-t-elle plutôt certains métiers que d’autres ? Quel est le statut de ces conjointes d’artisans ?

Si les artisans se définissent par rapport au métier, ce sont aussi des entrepreneurs. Mais, quels entrepreneurs sont-ils ? Comment gèrent-ils leurs entreprises ? Quelles sont leurs stratégies ? Quels sont leurs business model ? Est-ce qu’ils privilégient les petites séries, le travail sur mesure au profit de la qualité ? Dans les faits, les situations sont très variées en fonction des entreprises et de leur histoire, de leur trajectoire, mais également du territoire dans lesquels elles sont implantées, car l’artisanat rime aussi avec territoire et développement local, dans le cadre par exemple des pôles d’innovation de l’artisanat créés en 2006 en France dans le but notamment de développer des relations de coopération entre grandes entreprises, entreprises artisanales et des centres de recherche. Il en existe actuellement une vingtaine dans des métiers très variés : l’agroalimentaire, l’imprimerie, les métaux, la boulangerie, l’électronique, etc.

Les articles proposés pourront s’appuyer sur une entreprise, un secteur d’activité ou un métier précis de l’artisanat. Ils pourraient dans cette perspective s’intéresser à l’émergence de nouveaux métiers, à différents moments, ou encore au cas particulier des métiers d’art et/ou du luxe. Ils peuvent aussi aborder une chambre des métiers ou une organisation représentative de l’artisanat. L’étude peut être menée à l’échelle d’un pays, d’une région, d’une ville ou d’un territoire particulier (district industriel, cluster, pôle de compétitivité, par exemple). 

Les articles attendus devront comporter une dimension historique. Cette mise en perspective peut se faire sur le temps long en remontant au XVIIIè siècle (voire plus avant), en étudiant une période particulière ou plus précisément les vingt ou trente dernières années. Par ailleurs, compte tenu de l’importance qu’a pris l’artisanat depuis les années 1980, des articles qui présenteraient une revue de la littérature systémique à son sujet sont également attendus, afin de mettre en évidence l’évolution du nombre de publications académiques sur le sujet, les différentes thématiques traitées et les conclusions auxquelles leurs auteurs ont abouti. 

Alors que la situation de l’artisanat en France au XXè siècle commence à être mieux connue, des études comparables manquent encore sur les pays voisins. Des propositions sur l’artisanat et les entreprises artisanales dans les autres pays européens, voire au-delà, seraient donc particulièrement bienvenues.

Calendrier prévisionnel 
15 novembre 2022 : envoi des propositions d’articles (avec un titre, une présentation de l’article envisagé de +/- 2500 signes typographiques, et une brève présentation de l’auteur)
1er décembre 2022 : réponse aux auteurs de propositions
15 juin 2023 : envoi de la première version de l’article (d’une longueur 30 à 45000 signes. Les auteurs devront se reporter aux consignes sur le site de la revue : http://entrepriseshistoire.ehess.fr/note-aux-auteurs/)
juin 2024 : publication du numéro thématique de la revue Entreprises et Histoire


Références

Boutillier S., 2011, La persistance des petites entreprises. Essai d’analyse à partir des théories de la firme et de l’entrepreneur, Innovations, n° 35, 9-28.
Boutillier S., Uzunidis D., 1999, La légende de l’entrepreneur, Syros, Paris.
Boutillier S., Fournier C. Perrin C. (dir.), 2015, « Le temps des artisans. Permanences et mutations », Marché & Organisations, n° 24.
Crawford M., 2010, Eloge du carburateur. Essai sur le sens et la valeur du travail, La Découverte, Paris.
Crossick G., Haupt H-G. (dir.), 1984, Shopkeepers and masters artisans in Nineteenth century Europe, Methuen, Londres/New-York.
Domurad F., 2019, Hometown Hamburg: Artisans and the Political Struggle for Social Order in the Weimar Republic, Anthem Press, Londres & NewYork.
Gresle F., 1981, L’univers de la boutique. Les petits patrons du Nord (1920-1975), Presses universitaires de Lille, Lille.
Jaeger C., 1982, L’envers de la roue de l’histoire, Payot, Paris.
McKitrick F., 2016, From Craftsmen to Capitalists: German Artisans from the Third Reich to the Federal Republic, 1939–1953. Berghahn Books, New York.
Perrin C., 2007, Entre glorification et abandon. L’Etat et les artisans en France (1938-1970), CHEFF, Paris.
Perrin C., 2020, La résistible déclin de l’artisanat en France des années 1920 aux années 1970, Entreprises & Histoire, n° 100, 73-84.
Sennett R., 2010, Ce que fait la main. La culture de l’artisanat, Albin Michel, Paris.
Zarca B., 1986, L’artisanat français, du métier traditionnel au groupe social, Economica.
Zdatny S., 1999, Les artisans en France au XXe siècle, Belin, Paris.


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