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« L’objet précieux : un fait social total ? », Colloque international issu d’une coopération EHESS-Cartier, Paris, 25-26.4.2024
02-10-2023 15:36L’objet précieux, et plus particulièrement le bijou, suscitent, au fil des siècles et des espaces, des réactions qui se réitèrent et se répondent, malgré la variation des contextes, des époques et des lieux. En effet, si la réprobation pour les notions de dissipation et de luxe – souvent ostentatoires – est récurrente depuis l’Antiquité déjà (Pline l’Ancien), l’action bénéfique de l’objet précieux est également revendiquée, sur la base de plusieurs raisons : esthétiques, symboliques, religieuses et économiques. L’objet précieux est à la fois un agalma resplendissant et digne d’admiration ; une offrande pour les dieux ou pour les morts, dont la valeur doit être proportionnelle à la dignité des destinataires ; un symbole de statut, de pouvoir, d’alliance et de fidélité, dans lequel des valeurs culturelles sont condensées ; un héritage social ou familial, à la fois véhicule et gage de la transmission et de la tradition ; un inspirateur de la création artistique et du développement des techniques ; enfin l’un des éléments d’échange privilégiés dans l'économie du don, voire un moteur de l’économie, comme il est souligné par plusieurs auteurs tout au long de la réflexion occidentale sur le luxe, de Bernard de Mandeville à Jean-Baptiste Say, à Werner Sombart et bien d’autres.
Aussi l’objet précieux et le bijou, qu’ils soient portés sur soi, mobilisés dans la circulation ou intégrés dans des espaces, découpent un rôle et un rang de distinction à tous les niveaux, matériels et symboliques. Ils attirent l’attention, ils reconfigurent l’espace des apparences, ils « rayonnent », selon les mots de Georg Simmel, en établissant un clivage culturel et social, un « partage du sensible ». Ils n’en demeurent pas moins l’objet d’imitations et de reproductions bien plus accessibles qui contribuent à créer le goût partagé implicite dans la notion de mode ou ses imitations comme le kitsch.
C’est ainsi que l’objet précieux et donc le bijou se rattachent d’emblée à deux mots denses d’échos et de répercussions dans tout le spectre des sciences sociales, de l’anthropologie à l’économie, de la philosophie à la sociologie de l’histoire des arts à celle des techniques et du travail : la notion de valeur et celle de création, qui seront le point de départ de notre questionnement.
La valeur de certaines matières, comme l’or ou le diamant, est largement partagée dans plusieurs sociétés et périodes, mais quelles sont les propriétés qui la déterminent ? L’or est-il précieux en raison de ses qualités sensorielles et organoleptiques (malléabilité et résistance, durabilité, couleur et brillance qui attirent les regards à l’instar des rayons du soleil) ou pour ses qualités distinctives (parce qu’il est rare, cher, difficile à extraire) ? Ou tout cela à la fois ? Et qui décide la place d’autres objets et matières, qu’ils soient des coquilles, des tissus ou des perles de verre, en tant que paradigmes d’une appréciation esthétique et du pouvoir économique spécifique, que l’on retrouve de la préhistoire jusqu’à la création contemporaine des bijoux fantaisie ? Quel rapport entretient la valeur de l’objet précieux avec son prix ? Quel est le rôle de la rareté, de l’ancienneté et de la performance technique, artisanale ou industrielle dans la formation de la valeur ? Et encore, comment la circulation des objets précieux nous permet de relier et de comparer différentes sociétés, et de reconstruire les hybridations et les réinventions de la valeur comme faisant partie d’une vie sociale des choses, au sens d’Arjun Appadurai ?
Quant à la création, quels sont les paramètres esthétiques mobilisés ? Entre innovation et tradition, entre réinterprétation et retour, entre importation exotique et tropisme local, quels sont les critères socialement retenus pour décréter le succès ou la désuétude d’objets tout aussi « précieux » ? En quoi consiste l’« aura » de l’objet précieux ? Parmi les qualités esthétiques qui contribuent à la déterminer, lesquelles sont accrues par le travail et l’activité formatrice humaine ? La notion de « travail esthétique » sera ainsi une autre piste possible pour réfléchir aux imbrications entre valeur économique et valeur sensible.
Le colloque international « L’objet précieux : un fait social total ? » (INHA, 25 et 26 avril 2024) invite les chercheurs actifs dans tous les domaines des sciences sociales à échanger autour de ces pistes de travail. Cette initiative, issue d’une coopération EHESS-Cartier de plus vaste envergure, vise à susciter une large réflexion autour de cette thématique transversale et interdisciplinaire par excellence.
Nous vous invitons à envoyer vos propositions de contribution, titres plus un résumé de 2,500 signes (environ 400 mots) au maximum, accompagnés d’une courte bio-bibliographie, pour le 31 octobre 2023 au plus tard à l’adresse suivante : objetprecieux[at]ehess.fr.
Comité organisateur :
Barbara Carnevali (EHESS, CESPRA), Cecilia D’Ercole (EHESS, ANHIMA), Jérôme Malois (EHESS), Jean-Philippe Miller-Tremblay (EHESS, CESPRA), Lynn Serfaty (Cartier).
Comité scientifique :
Marc Abélès (CNRS/EHESS, LAP), Marco Belfanti (Université de Brescia, Italie, Département d’économie et de management), Claire Bosc-Tiessé (CNRS/EHESS, IMAF), Cléo Carastro (EHESS, ANHIMA), Barbara Carnevali (EHESS, CESPRA), Cecilia D’Ercole (EHESS, ANHIMA), Emanuele Coccia (EHESS, CEHTA), Natacha Coquery (Université Lyon 2, LARHRA), Florence Gherchanoc (Université Paris Cité, ANHIMA), Isabelle Kalinowski (CNRS/ENS, Pays Germaniques), Rémi Labrusse (EHESS, CEHTA), Étienne de la Vaissière (EHESS, CETOBaC), André Orléan (EHESS, PjSE), Pierre Rainero (Cartier), Lynn Serfaty (Cartier), Hannah Williams (Queen Mary University of London (QMUL), Royaume-Uni).